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Mathilde Boileau

L'AVENTURE PAISIBLE - EPISODE 3


Du plastique pleins les yeux

JOUR 5-6 : MARTIL

Alors j’ai foncé à Martil, station balnéaire par excellence, du style Saint-Jean-de-Mont. Si je n’ai pas passé un mauvais séjour, ça ne m’a pas envoyé du rêve. Étant originaire de Vendée et habitante de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, j'ai une certaine exigence des villes côtières. Dans mon hôtel, j’ai au moins pu expérimenter les toilettes à la turque sans me faire pipi dessus. Une grande première. Et j’ai surtout repris mon travail d’écriture. Au calme. Enfin plus ou moins. Le calme marocain disons.


Après ma première expérience en bus local, où les Marocains me regardent avec des yeux rond, j’ai pris sans le faire exprès un taxi illégal entre Tétouan et Martil. Une mercedes pourav’, dans laquelle le chauffeur fait rentrer 7 personnes, dont 4 garçons qui ont été obligés de pousser le véhicule car il ne démarrait pas. Le vrai Maroc.


L'ODYSSÉE MAROCAINE

Aidée par la promiscuité de l’automobile, j’ai rencontré Chaïmaa. Elle parle bien l’anglais, son accent ferait même pâlir un écossais. On discute quelques instants. Je lui demande si c’est souvent comme ça dans les taxis, elle me répond que oui, elle a l’habitude. Moi ça m’a bien fait marrer, je me suis crue dans Disneyland quand il s’est mis à rouler légèrement à gauche...


Ça c'était sans plastique et c'est fantastique

Elle me demande pourquoi je viens à Martil.


Je lui explique que je viens voir une des connaissances de mon guide de montagne, un certain Paco, qui est professeur et responsable de la bibliothèque universitaire. Il a été rapidement question de donner éventuellement quelques cours de français… Elle propose de m’accompagner jusqu’à la bibliothèque. Nous trouvons rapidement le lieu recherché à la descente du taxi, malheureusement Paco s’est absenté pour deux semaines, il est à Séville. Mon plan tombe à l’eau. Chaimaa m’invite à manger, elle habite à deux pas de l’édifice. Drôle de coïncidence.


Chaimaa, mon ange gardien

Pour le repas, je lui explique que je ne peux pas manger de sucre. Comme je n’arrive pas à bien exprimer mon régime en anglais (déjà qu’en français je galère), elle m’ouvre son frigo, et je choisis. Expérience unique.

Me sentant carrément redevable, je lui propose de lui jouer quelques chansons, armée de mon ukulélé.


Au fur et à mesure, j’en découvre plus sur son parcours atypique. Elle n’a pas un physique d’une marocaine. Elle porte un bonnet, des lentilles de contact qui lui donne un regard troublant et le plus surprenant… elle est divorcée ! Je ne savais même pas qu’il était possible de divorcer au Maroc. J’imagine à peine le courage dont elle a dû faire preuve. Elle a ensuite décidé de quitter le monde de la coiffure pour reprendre ses études en littérature anglaise. Une héroïne des temps modernes à mes yeux, version Marocaine.


Mon bureau à Martil, le luxe à l'état pur

Chaimaa a veillé sur moi tout au long de mon séjour, m’offrant le couvert, un lit et une générosité qui me fait tellement chaud au cœur que je ne trouve pas les mots pour la remercier. Elle m’a même accompagnée jusqu’à l’autobus situé dans la ville voisine de Tétouan pour être sûre que tout aille bien pour moi. Lorsqu'elle m’a proposé de rester dormir chez elle, et à ma propre surprise, j'ai décliné. J’avais besoin de me recentrer, de passer du temps toute seule et de reprendre mon travail d’écriture.


Avant de partir, j'avais peur de me sentir seule. J'avais demandé à l'univers de m'aider à ce que ça n'arrive pas. Il m'a écouté puisque contre toute attente j'ai dû apprendre à dire non. J’avais toujours quelqu’un qui voulait m’accompagner, m’inviter à prendre le thé ou juste me tenir compagnie. Voilà une belle expérience de communication avec le cosmos.


Quelques jours auparavant, à Chefchaouen, un français retraité de l’éducation nationale qui était présent sur la paquebot Barcelone-Tanger m’a reconnue grâce mon duo du tonnerre avec Sahid. Il m'arrête dans la rue et m'invite à le rejoindre pour dîner, le feeling passe, je lui parle de ma volonté de m'isoler pour écrire. De plus, je suis déçue car l'auberge que j'ai réservé est vraiment minable même si elle est très économique. Il me propose de venir chez lui pour quelques nuits car il habite près de la mer et qu'il est absent pour le week-end. Il me semble honnête, plutôt sympa, je suis très tentée. J’accepte en premier lieu, puis je reçois un coup de fil de Manuela, l’écrivaine portugaise, qui me demande de mes nouvelles. Avant de raccrocher, sans vraiment qu’il y ait de rapport avec la situation elle me dit: “fais-attention”. Ça résonne. La synchronicité est troublante. Je reste dans mon auberge à 6 € la nuit. C'est ce qui est prévu, je n'ai pas à changer le plan. Quelques minutes après je trouve dans la rue Rahmed, qui deviendra mon guide déterminant de la randonnée sans le faire exprès. Si j'étais partie, je n'aurais pas vécu ce moment exceptionnel que je raconte dans l'épisode 2. C'est le mektoub.*


*J’ai découvert cette expression, le mektoub, qui signifie “c’est écrit” dans la lecture du livre de Paul Coelho, l’Alchmiste. On me l’a glissée à quelques reprises. Je la trouve charmante.


JOUR 7-8-9 : FÈS ATTENTION

J’ai eu froid à Martil comme partout dans le nord du Maroc. La température extérieure varie entre 15 et 20 degrés mais ils ne chauffent pas les maisons. Elles sont froides parfois humides. Mon corps me demande du repos, j’ai la gorge qui pique et je me sens fatiguée. Alors j’ai réservé un Riad un peu au dessus de mon budget dans ma future destination (Fès) car il y a du chauffage.


Après 9 heures de trajet et seulement une petite pausinette pour changer de bus, j’arrive à Fès. J’aime bien voyager avec les compagnies locales car ça me permet d’observer la vie à la Marocaine. J’en apprends plus sur leur culture. Et surtout, c’est bien plus passionnant que n’importe quel divertissement télévisuel parce que les Marocains sont des showmans. Ils rient, ils chantent, ils se saluent de manière démonstrative. Mais ce que je préfère, c’est quand les portes du bus restent grandes ouvertes et que les rabatteurs crient dans la rue pour trouver preneurs des dernières places. Ça, ça déboîte !


T'AS CRU MAIS T'ES VAINCUE

Pour ce trajet entre Tétouan et Fès, je me suis assise à une place que j’ai cru stratégique: à côté d’un siège cassé. Je me suis dit “comme ça je pourrai être tranquille, personne ne se mettra à côté de moi.” C’est mal connaître les Marocains et leur folie du remplissage. Une jeune fille d’à peu près mon âge est venue s’y installer. Elle est accompagnée d’une femme plus âgée que je présume être sa mère, d’une autre jeune fille. Elle porte sur elle un bébé. Je me désintéresse totalement d’eux et essaye de me détendre car il fait chaud, le soleil tape sur fenêtre. Je me dis que le trajet va être calme et je vais pouvoir me perdre dans mes pensées, faire des souhaits pour l’avenir, laisser grandir mes projets. Ça coûte rien et ça fait plaisir. J'adore le bus.


Au bout de 2 h 30 dans le silence, le petit bout de chou, qui me rappelle mon neveu, se met à pleurer. Les trois femmes se passent successivement l’enfant. Même le rabatteur du bus essaye ! J’envisage quelques instants de sortir mon ukulélé pour jouer une comptine qui me revient en tête “you’re my sunshine” de Johnny Cash. Mais je suis timide parfois. Je me fais toute petite.


SUDDENLY I SEE

Soudain, ma voisine m’adresse la parole. Je suis assez surprise car c’est la première fois qu’une fille Marocaine m’adresse la parole en première. Déjà j’en vois très peu. Elles n’ont pas l’air d’être très libres de leurs sorties... en tout cas dans les bars ce ne sont que des hommes ! Je suis donc surprise mais j’apprécie. Elle me demande d’où je viens, mon prénom, mon âge. Elle parle très peu le français mais elle y met tout son cœur. Le dictionnaire de traduction en ligne est notre ami. Je joue le jeu même si la conversation est vite limitée car elle parle autant français que je parle arabe. J’ai un peu l’impression de rejouer la scène de rencontre entre Jane et Tarzan dans le film Walt Disney.


J’apprends qu’elle s’appelle Rajae. Sa mère semble adorable également, elle s’appelle Fatima. Alors qu’on s’approche de la fin du trajet, Rajae me parle de ses projets de voyage au Mexique. Je trouve ça formidable. Elle veut devenir hôtesse de l’air.


Quelques minutes plus tard, alors que la conversation s’est éteinte elle me dit “j’espère pour qu’on pourra se revoir”. Mon côté rationnel me dit : “qu’est-ce-que tu vas bien pouvoir faire avec quelqu’un qui parle 3 mots de français ?”. Mais par politesse curieuse, je lui réponds : “avec plaisir”. Et puis je la trouve attachante, je me dis pourquoi pas.


Notre bus fait un stop à Meknes, où sans prévenir on nous demande de descendre pour en changer. J’avoue que je suis un peu désorientée par cet imprévu mais la famille de Rajae veille sur moi et m’accompagne même jusqu’aux toilettes pour ne pas que je me perdre… ADORABLE.


Rajae et moi échangeons nos numéros. Et on convient d’une visite de la vieille ville le mardi.

Au détour de notre conversation, j’apprends que le bébé est à la cousine de Rajae qui est de nouveau enceinte. La mère de Rajae, Fatima maîtrise quelques mots de Français également. Elle m’invite à venir dormir chez leur cousin de Fès. Je décline gentiment, j’ai déjà mes plans (dormir). Alors elles me disent en chœur : “une prochaine fois, inchall'ah !”


RIAD CHAUFFANT, C'EST TENTANT

Après une course rapide en taxi depuis la gare, Abdou, mon hôtelier, vient me récupérer à l’entrée de la Médina. Il m'emmène jusqu’à sa maison, transformée en Riad, c’est-à-dire en hôtel particulier. Chez Abdou et sa famille, l’ambiance est très douce. Ils ont un rooftop plutôt stylé. J’y passe trois jours au calme dont le premier entièrement dans mon lit, au chaud avec un chauffage… d’appoint. C’est mieux que rien. Abdou, est très disponible et vraiment à mes petits soins. Il m'emmène dans des restaurants à tarifs corrects.


Il a fait des études de langue anglaise. Il rêve d’aller vivre aux Etats-Unis. Cependant, il est le chef de famille depuis que son grand frère est parti en Lituanie. Il tient également un magasin où il vend des cigarettes, des boissons et des glaces l'été. Je sens qu’il serait bien plus épanoui ailleurs. Mais comme beaucoup de Marocains, le poids des responsabilités est très fort. Il a dû mal à envisager une autre réalité. Je prends conscience que j'ai de la chance de pouvoir changer de vie. Je n'ai aucune responsabilité particulière si ce n'est celle de mon chat. Je peux me permettre de voyager et de changer de vie. Ce n'est pas donné à tout le monde, ça fait du bien de s'en rendre compte.


FES TOI MÊME

L’ambiance de Fès est moins belle. Les gens sont moins sympathiques. Je ressens une ambiance hypocrite envers les touristes que je ne ressentais pas jusque là dans le nord du Maroc. Presque de l'insécurité.


Fatima, Rajae et moi

Mardi, je prends le taxi pour me rendre au point de rendez-vous avec Rajae et Fatima. Je me demande bien ce que va me réserver cette excursion d’un ordre nouveau puisqu'on ne parle pas la même langue. Oui, les Marocains ne parlent pas tous le français. En voilà une surprise. Si le français est la deuxième langue officielle, elle est présente sur les panneaux de signalisation par exemple, dans la population seules les personnes qui ont poussé leurs études après le bac le parlent vraiment correctement. Les autres le baragouinent (bonjour, au revoir, merci) et d’autres ont même tout oublié (comme moi avec l’espagnol).


En les attendant, je m’égare à l’entrée de la Médina chez un vendeur d’aromates, qui m’embarque dans son patio splendide.


PATIOS À GOGO À MAROCCO

L'AROMATIQUE C'EST MAGNIFIQUE

Les aromates sont devenus une de mes passions. Depuis que j’ai commencé à cultiver mon jardin à la maison, je me suis découvert une main plutôt verte. Merci à Christelle et JM pour leur aide dans l’élaboration de mon jardin et de mon compost. Je me suis réconciliée avec la nature, et la naturopathie* fait d’ailleurs partie des métiers que j’envisage. Je me voyais un moment avec une petite maison de campagne, mon cabinet de naturopathie et une activité d’herboristerie. La naturopathie est un bon mixte entre thérapie et rééquilibrage physique. On verra ce que l’avenir me réserve.


J’ai aussi adoré le Maroc pour ça : ils se soignent encore par les plantes. Vous trouvez des pharmacies un peu partout mais ils sont quand même restés proches de leur culture de la nature. Médecine classique et médecine traditionnelle fonctionnent ensemble. Un vrai rêve.


Lorsque j’ai eu l’incontournable tourista, je suis rentrée au hasard dans une épicerie aromatique et le monsieur m’a concocté un mixte de plantes à prendre en infusion (camomille, carvi, lavande, thym et fenouil). J’ai également pris de l’homéopathie que j’avais apporté avec moi. Tout est rentré dans l’ordre relativement rapidement.


Rajae et sa maman arrivent ensemble, on passe quelques heures à parcourir la Médina. C’est drôle parce qu’on ne se comprend pas au niveau de la parole mais être ensemble suffit. On parle avec les mains, avec les yeux, avec le corps. C'est le langage universel.


J'ai d'ailleurs très bien réussi à leur faire comprendre que j'avais faim, je vous laisse imaginer les gestes. Après un tour dans un restaurant style fastfood (why not), Rajae nous emmène dans un parc pour que je puisse leur chanter une chanson avec mon ukulélé. On passe quelques heures au soleil à jouer. Fatima finit par s’endormir sur la pelouse, le garde vient la réveiller après quelques minutes. Au Maroc, t’es pas non plus libre de dormir par terre.


On se sépare, et on se promet de se revoir. Elles m’invitent à aller voir leur famille à Malaga, en Espagne. Mais je leur réponds que je ne peux, je repars d’Agadir directement pour Paris en Avion. Comme à chaque fois que je dis non, elles semblent déçues. Ça m’amuse presque car on dirait comme un jeu. On se dit à bientôt, inch'allah.


*La naturopathie est un métier de médecine alternative. Il est complémentaire à la médecine classique. Le naturopathe reçoit son patient pour l'aider sur différents plans de sa vie : le corps, l'esprit et les émotions. Il s'agit d'un traitement holistique de la personne. Le médecin agit sur un symptôme quand le naturopathe cherche d'abord la cause dans une volonté de rééquilibrage globale, qui peut même être préventive. Il cherche à aider le patient à prendre en main sa santé, le plaçant au cœur du processus de réflexion.



 
 

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